VENDEUR DE PEAUX DE LAPIN : travail réalisé par Christian THOMAS

Christian THOMAS est le dernier transformateur de peaux de lapin à échelle industrielle en France. Il a continué l'activité de son père jusque dans les années 1960. Depuis, malheureusement, ce savoir-faire a été définitivement abandonné au profit d'une filière espagnole et de l'industrie chinoise à grande échelle.

 

Il faut savoir que cette économie ne correspondait pas à un abattage systématique et reposait uniquement sur l'élevage des lapins en ferme pour une consommation familiale. Le collecteur de peaux de lapin ne faisait que récolter les dépouilles des animaux consommés sur place, passant de ferme en ferme pour récupérer, moyennant quelques francs, les peaux de lapin sur son vélo.

HOMMAGE A MONSIEUR LAPIN

Christian THOMAS à côté de sa collection de porcelaines de lapins.

Rendons hommage à Monsieur LAPIN (oryctolagus cuniculus) qui, par son sacrifice, contribue à l’alimentation mondiale. Durant les périodes troubles, lors de la révolution industrielle et la forte migration rurale vers les villes, le lapin s’est révélé une bonne solution pour obtenir de la viande à disposition des habitants. Chaque foyer en ville comme à la campagne possédait son élevage. Le dimanche généralement un lapin était sacrifié pour pallier au manque de viande et apporter les protéines à l’alimentation de l’homme.

Bien que ton élevage ait été essentiellement à but nutritionnel, l’ingéniosité de l’homme au cours des âges a su utiliser ta dépouille comme matière première dans la confection de vêtements et accessoires de mode d’abord dans l’artisanat puis dans l’industrie.

Ta peau n’est pas la motivation de ton sacrifice, elle n’en est que le résultat qui, sans le génie de l’homme, ne serait considérée que comme un déchet.

Nous entendons les voix des âmes bien pensantes condamnant l’utilisation de ta peau à des fins mercantiles et de basses besognes mais rappelons pour rétablir la vérité que le réchauffement climatique n’a pas toujours été d’actualité et que nos ancêtres proches n’avaient pas les scrupules à se vêtir de ta pelisse si chaude durant les hivers rigoureux. Le tout électrique, le gaz et le pétrole étaient loin des applications de nos jours, aussi quel bien-être de porter un vêtement doublé lapin, une chapka, des gants fourrés lapin, un chapeau de feutre de poils de lapin. Certes tu n’appartiens pas à la catégorie noble de la pelleterie (zibeline, vison, astrakan, chinchilla) mais l’ingéniosité de l’homme t’a permis de prendre des airs de pelleterie fine avec un atout pécuniairement avantageux.

Enfin, ayons en mémoire les milliers d’ouvriers et ouvrières qui ont trouvé par le passé un emploi dans la filière « Peau de Lapins »…

L’alternative serait la fourrure artificielle ! Oui pourquoi pas … ! Mais dans ce cas pensons-nous à la pollution générée par les industries chimiques productrices…?

Alors tout compte fait, puisque ton sacrifice est motivé par l’alimentaire, pourquoi ne pas se servir de ta PEAU pour le plaisir du regard, pour le plaisir du toucher pour le confort…?

MERCI MONSIEUR LAPIN !

Christian THOMAS

ex-marchand de peaux de lapins

L'INCROYABLE EPOPEE DE LA PEAU DE LAPIN

Je m’appelle Jeannot Lapin, connil commun de la famille des léporidés dont le nom scientifique est « ORYTOLAGUS CUNICULUS »  (entre nous, on aurait pu faire plus simple comme appellation non !). Bref, là bas, dans une ferme du Tarn, j’ai passé mon existence dans un clapier - une cabane en quelque sorte.

Nourri et logé, je coulais des jours heureux, mes hôtes me gâtaient en nourriture et je me faisais du gras… Régulièrement, l’on m’apportait de jeunes femelles plus jolies les unes que les autres afin d’entretenir ma réputation de « chaud lapin ». Mon pelage était bien fourni, lustré et soyeux, et puis vint le jour de mon sacrifice car, tels les prisonniers des Aztèques, je compris que le bien-être dont je bénéficiais jusqu’alors avait un but bien précis : servir de nourriture pour ma famille d’accueil… Passons sur le moment douloureux de la mise à mort et sur l’accommodement culinaire de ma carcasse pour en venir à la destinée de ma dépouille car, pour elle, c’est une nouvelle vie qui commence…

Le marchand de peaux de lapin par Antoine-Charles-Horace, dit Carle Vernet (Bordeaux 1758-Paris 1836).

Je m’explique : mon sacrificateur avait  pris soin, avec l’adresse d’un taxidermiste, de soigner la dépouille et ma peau toute retournée côté cuir puis, bourrée de paille, elle fut mise à sécher au grenier, allant rejoindre celles de mes congénères qui avaient subi le même sort.

Vint le jour tant attendu par la fermière de la visite du marchand de peau de lapin - le « pelharot » - un Aveyronnais du nom de LAPINAC. Ce dernier, arrivé en criant peau d’lapin peau.. pô…pô, se pencha sur la marchandise et prit l’attitude dédaigneuse du marchand qui ne voulait rien du tout… Enfin, après avoir tergiversé, il sortit de sa besace quelques sous, chargea les peaux sur son vélo, sourit semblant satisfait d’avoir fait une affaire…

Quant à la fermière, elle avait espéré mieux mais enfin ces quelques deniers mettraient du beurre dans les épinards !

C’est à partir de cet instant que ma dépouille, âprement négociée par LAPINAC, va entamer un incroyable périple. Stockée et chouchoutée chez le pelharot, ce dernier attendait la visite du demi-grossiste, le chiffonnier d’Albi, car LAPINAC escomptait bien négocier son lot de peaux, dont la mienne, à un prix élevé, d’autant plus que l’hiver avait été rude et que les pelisses étaient bien fournies et que le marché semblait favorable.

L’affaire conclue, nous fûmes acheminées par camion dans les entrepôts du négociant albigeois, lequel nous saupoudra de naphtaline pour éviter les attaques des insectes dévastateurs… Puis, nous passâmes entre les mains d’un grossiste classeur de peaux, là haut en Île-de-France, un Bourguignon TOMLAP, qui avait débuté comme pelharot et avait gravi les échelons de l’ascension sociale.

Le Pelharot ou peillarot (le vendeur de peaux de lapin).

Ma dépouille se retrouvait parmi une multitude de peaux de lapin de toutes les régions de France et de pays lointains (Ukraine, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie et même de Corée du Nord… incroyable !). Un spécialiste classeur expert en la matière, un nommé Bœuf, nous examina attentivement, soufflant dans le poil, observant le moindre défaut et anomalie et, le diagnostic effectué, il nous jeta sur tel ou tel tas de peaux, identiques de taille, de qualité et de couleur.

Pot de colle de peau de lapin sous forme de granulés.

Ma dépouille fut classée Fort N° I, destiné à la pelleterie et je dois remercier mes éleveurs car, en raison des soins apportés, ma pelisse était parfaite. Nous étions peu dans ce cas, la majorité des autre peaux étaient destinée à aller dans une couperiez de poils et, ironie du sort, certaines de mes congénères, après avoir été négociées chez TOMLAP par un colporteur de peaux - un certain Monsieur CHALVET - se retrouvèrent dans une usine du Tarn : la maison RASCOL, établie depuis 1832 à Fiac.

Le sort que devaient subir ces dépouilles n’était pas enviable car elles allaient devoir passer par des moments terribles et être découpées en petites lamelles par des machines à déchiqueter, inventées par un nommé COFFIN, ingénieur à Boston (USA). Ces machines infernales émettaient un bruit terrifiant mais permettaient de séparer minutieusement le cuir du poil… Le cuir se retrouvait découpé en lamelles, dites « vermicelles », lequel vendu dans une usine tarnaise produirait la colle tant appréciée par les ébénistes et les relieurs.

Quant au poil, bien débarrassé de ses impuretés, il allait fournir les chapelleries de la Loire, de l’Aude, du Tarn et Garonne, d’Italie, deGrande-Bretagne - et qui sait si l’un des couvre-chefs en feutre de poil de lapin n’allait pas être porté par la reine d’Angleterre ou par le président François Mitterand – oui, qui sait ? 

Affiche publicitaire pour la chapellerie du Charmoy, spécialisée dans le canotier-puits "Montrésor" et le panama "Planteur du Charmoy".

Quant à ma dépouille regroupée avec d’autres, TOMLAP nous vendit à la grosse maison de pelleterie CHAPAL, à Crocq dans la Creuse… Là, après avoir subi une succession de bains tannants, être passée à l’épilage, à l’éjarrage et à la teinture, notre pelisse lapin se transforma en fourrure de luxe, et c’est ainsi que je me retrouvai aux Jeux Olympiques de Grenoble sur le dos d’une jolie hôtesse.

Le bleu m’allait à merveille. Mes collègues étaient en blanc et en rouge. Nous représentions la France. D’autres peaux de fourrure allaient finir sur des cylindres de nettoyage des photocopieurs de RANK XEROX. Enfin, les résidus des découpes, lors de la confection des vêtements, appelées « chiquettes » - eh ! bien, ils étaient exportés sur l’Asie par un certain C. TOMFUR pour y être recyclés en nappes de 60 X 120 cm, lesquelles revenaient en occident sous forme de vêtements…

Ainsi se termine la longue histoire de ma dépouille.

Christian THOMAS