BOUILLEUR DE CRU : travail réalisé par Michel HERICHER (4 mars 2013)

Transformer le Cidre en Calva.

 

Distillerie de cidre en Normandie
Profitons d'bouilli pendant qu'j'en avons encore le droué...

La pomme et le cidre, l'alambic, le Calva ou le calvados.

 

Je me rappelle lorsque j'habitais aux Sapins, à Rouen, mon père faisait venir un chargement de pommes devant notre maison. Ensuite une presse et broyeur de pommes étaient installés dans notre cour pour la transformation des pommes en cidre. Je pouvais boire le jus de pomme directement à la cuve ou attendre la fermentation pour boire le cidre.

 

Mais avant la dégustation, mon père mettait le jus dans un tonneau pour y séjourner suffisamment longtemps pour ensuite le mettre en bouteille, puis il devait y mettre un bouchon et stocker toutes les bouteilles pleines à l'horizontale dans notre cellier. La fabrication du cidre était donc faite à la main par mon père.

 

La presse et broyeur étaient ensuite loués par un autre voisin pour continuer à y transformer les pommes en cidre. Ainsi de suite, la presse allait de pavillon en pavillon, dans tout le quartier des Sapins. Au fil des années, l'égrugette installée à un tracteur était gérée, non plus par les habitants des Sapins, mais par un professionnel. La transformation des pommes en jus de pommes se faisait de manière mécanique, avec le tracteur. Sa mise en tonneau et mise en bouteille après la fermentation se faisait toujours à la main par mon père.

 

Nous avons goûté notre cidre maison durant plusieurs années de mon enfance ; puis un jour, alors que j'étais adolescent, un incident arriva dans notre cellier : toutes les bouteilles encore à l'horizontale ont perdu leur bouchon. Mon père ne nous donna aucune explication. Le mise en bouteille a-t-elle été effectuée trop tôt pendant la fermentation ? Ou est-ce à cause de la chaleur entrée dans notre cellier ? Ce fut la dernière année que mon père fabriqua son cidre lui-même.

Dégoûté ou constatant qu'il était plus facile de l'acheter au magasin "COOP" qui venait de s'installer dans notre quartier : le cidre acheté remplaça le cidre maison à notre table. Et vers l'âge adulte, l'égrugette disparaissait de notre quartier.

Scènes normandes

 

A dire en patois normand :

 

- "Fais ben attention, té, Baptiste. C'est la vieuille fine qui câoffe l'à-dedans 8 ?"

- "Profitons d'bouilli, pendant qu'j'en avons encore le droué".

 

Les Normands de la Belle Epoque aiment terminer leur café avec le calva, pour rincer la tasse ; consommé au cours d'un grand repas, le calva est alors appelé le trou normand.

 

 

Les premières machines hydauliques font leur apparition à la Belle Epoque. Remplaçant à la fois broyeurs et pressoirs, elles extraient le jus et le brassent en seulement une demi-journée. Quand le cidre n'est pas consommé tel quel, il peut être transformé en eau-de-vie appelée calvados ou calva.

 

C'est le travail du bouilleur de crû ambulant qui, à la saison de la bouille, déplace son alambic de ferme en ferme. Le cidre est placé dans une cuve et chauffé. L'alcool qui s'évapore est alors recueilli dans une citerne où, refroidissant, il se liquéfie. Ce procédé est reproduit plusieurs fois pour obtenir cette goutte normande, le calvados.

 

Malheureusement, avec l'arrivée du chemin de fer, le cidre s'exporte vers les grandes villes et à l'étranger. La fabrication artisanale à la ferme ne suffit plus et l'industrie cidricole se développe le long des voies ferrées. Ces grandes cidreries éclosent dans toute la Normandie et bénéficient des progrès techniques, notamment les machines à vapeur. La production est industrialisée, le travail des hommes est facilité par des poulies pour le levage, des chariots pour le transport... L'industrialisation donne lieu à des nouveautés dans les cidreries : les grilles de fer lavables remplacent la paille qui séparait les lits de marc de pommes ; les cuves de verre et ciment vont remplacer les tonneaux en chêne pour le transport ; les bouteilles de verre remplacent le pichet de table. Et bien sûr, l'industrialisation supprime le cidre fait maison. Le métier de bouilleur de crû ambulant suit cette disparition et entre inévitablement dans les métiers d'antan et disparus.

Source :

"La Normandie d'antan" par Barbara AUBE et Olivier BOUZE, édition HC.