LES TONNELIERS A CARRIERES
par Alain MILLOT, généalogiste
TONNELIER : travail réalisé par Elisabeth SAUNIER (septembre 2015)
En me rendant au Québec, cet été, et notamment en Gaspésie, j'ai effectué un véritable retour aux sources. Les Québecois sont fiers de leurs origines françaises et saisissent toutes les occasions pour le rappeler !
C'est ainsi que j'ai visité le musée de la batellerie à Paspébiac, village portuaire exploitant la pêche et l'exportation de la morue. Les tonneaux étant nécessaires à la conservation et à la livraison de la morue, c'est toute une activité de tonnellerie qui s'est développée autour des entrepôts "B.B.", les entrepôts "Le Boutillier Brothers".
Cette activité, toujours en cours dans notre pays, ne doit pas être si éloignée de sa pratique en usage aux XVIIème et au XVIIIème siècles au Québec.
LE BANC-DE-PECHE DE PASPEBIAC
Plusieurs bâtiments rassemblés sur la grève de Paspébiac datent du règne des grands marchands jersiais (Jersey, GB). Ce sont des constructions affectées aux besoins de ces entreprises : l’ancien office, la poudrière et le hangar Robin sont regroupés autour d’un grand entrepôt (le « B.B. », pour Le Boutillier Brothers) où l’on préparait la morue en vue de l’expédition. Le secteur Charles Robin comprend en outre une charpenterie, une tonnellerie et une forge. Des animations costumées mettent en scène les métiers de la pêche en Gaspésie.
CENT FOIS SUR LE METIER, MILLE METIERS A LA FOIS
Au 19e siècle, sur le banc de Paspébiac, les activités quotidiennes liées au commerce de la morue salée séchée requièrent une main-d’œuvre spécialisée. Le tonnelier joue un rôle essentiel. Non seulement son métier est nécessaire à la vie quotidienne mais il est en plus lié directement aux activités d’import-export des compagnies jersiaises.
LES TACHES DU TONNELIER
Si les tonneliers possèdent tous les mêmes compétences, ils peuvent œuvrer dans différents secteurs d’activités : villes et villages, pêcheries ; campagne, traite des fourrures, vaisseaux…
Le tonnelier des pêcheries travaille à bord des bateaux de pêche aussi bien que sur la terre ferme. Il fabrique les boucauts ou monte ceux qui lui ont été fournis en bottes. Une fois que le boucaut est chargé de poissons ou d’huile, il le fonce. Une grande partie de son travail consiste également à réparer et à reconstruire des tonneaux ayant déjà servi au transport de vivres ou de matériel. Comme pour les autres spécialités de la menuiserie, le métier de tonnelier exige une grande précision, surtout dans la
LE TONNEAU, UN OBJET BIEN PENSE
Très solide, le tonneau résiste à une pression exercée de l'extérieur ou de l'intérieur. Il est réutilisable maintes et maintes fois aux fins de transport et d'entreposage. De plus, un homme peut facilement le déplacer en le roulant. On peut aussi l'ouvrir et le refermer sans l'endommager ni porter atteinte à son étanchéité.
LES OUTILS DU TONNELIER
La pratique du métier exige un outillage adapté à chacune des étapes de fabrication. L’atelier de tonnellerie typique comprend les instruments suivants :
. 1 coutre . 2 chevalets
. 1 scie montée . 1 rabot
. 1 à 2 taillefons . 2 ou 3 compas
. 2 planes croches . 1 vilebrequin
. 2 planes droites . 1 gouge
. 2 tilles de rognage . 2 chiens
. 3 tilles de rabattage . 1 à 2 colombes
. 2 jabloirs . 1 martinet ou 1 virevau
LA FABRICATION DES TONNEAUX
Quelle essence de bois choisir ?
La plupart des tonneaux fabriqués à Paspébiac sont appelés boucauts. Destinés à contenir de la morue séchée, les boucauts n’ont pas besoin d’être étanches ; l’aération permet en outre une meilleure conservation.
Les douves qui forment le corps du boucaut sont fabriquées à partir de planchettes d’épinette de quatre pieds de long. Les cercles sont fabriqués en frêne, merisier ou en aulne selon la disponibilité et la tradition du tonnelier.
Cependant, pour la fabrication des futailles, on utilise le chêne blanc. Ce type de bois est considéré comme le meilleur pour assurer l’étanchéité du baril. C’est un bois qui ne transmet pas de mauvais goût au contenu, car il est « neutre » à l’odorat. Son fil serré le rend étanche, mais il reste suffisamment poreux pour permettre aux différentes boissons alcoolisées de respirer et par conséquent de mûrir. En plus de résister à l’usure et à la pourriture, le baril de chêne blanc supporte bien la manutention et dure longtemps.
Les variétés d’essences de la Baie-des-Chaleurs ont été utilisées par les tonneliers. Elles comportent certaines particularités :
FRENE
Dur, pesant et solide, ayant un fil fin, mais tout de même poreux, le frêne occupe une place importante dans l’univers du tonnelier. Il convient parfaitement à la conservation des aliments puisqu’il n’a ni goût ni parfum.
EPINETTE
Tendre, légère et flexible, l’épinette est un bois qui possède des fibres extrêmement fortes. E changeant pas le goût des denrées, elle sert admirablement à la conservation.
PIN
Tendre et léger, donc facile à travailler, le pin ne résiste toutefois pas à la pourriture. On l’utilise pour certains ustensiles de la ferme, telle la baratte à beurre, et pour les caques à poisson (barriques où l’on conserve le hareng salé).
SAPIN
Des différents types de sapin, c’est le sapin baumier que l’on retrouve sur le territoire de la Baie-des-Chaleurs. Il est semblable à l’épinette, mais de moindre qualité et de moindre force. Il sert également à la conservation des aliments.
CEDRE
Bois préféré du tonnelier de campagne, le cèdre est tendre et léger, facile à travailler et à manipuler. Il est utilisé pour la fabrication de seaux et de cuves, car il résiste à la pourriture. D’un parfum très prononcé, il ne convient pas à l’entreposage des aliments. Il sert plutôt à transporter l’eau.
MELEZE
Considéré comme le plus lourd et le plus fort des bois mous du Canada, le mélèze sert à la conservation du lard et à la fabrication des cuves à lessives.
LES ETAPES DE FABRICATION
MATERIAUX |
USAGE |
Le merrain et le traversin (bois fendu) |
Douves et fonds |
Les perches |
Cercles en bois |
L’osier |
Lier les cercles en bois |
Le fer |
Cercles en métal et autres ferronneries |
La quenouille et le jonc |
Calfeutrage des joints, au besoin |
La craie |
Empêcher les cercles de rebondir |
Les douves
Les douves ou douelles sont les pièces de bois qui forment le corps d’un tonneau, d’une cuve, etc. les douves que reçoit le tonnelier doivent subir cinq opérations :
- L’écourtage : Couper les deux bouts d’une douve
- Le fléchage : Rendre les bous des douves plus étroites que le milieu. C’est ce qui donnera au baril sa forme renflée une fois que les douves seront assemblées et serrées les unes contre les autres.
- Le parage : Dresser, au moyen de la plane, l’extérieur de la douve afin de lui donner une courbe suivant la circonférence du tonneau. Le parage consiste aussi à égaliser l’extrêmité des douves, permettant ensuite de former le jable.
- Le vidage : Façonner la surface intérieur d’une douve afin de la rendre concave.
- La finition : Biseauter la douve à l’aide de la colombe et la rendre lisse afin d’assurer un joint bien serré.
Le montage
Le montage est une manœuvre délicate qui peut être rendue plus facile en cramponnant la première douve au cercle ou en fixant un butoir contre lequel elle s’appuiera. Le tonnelier tient horizontalement, en l’appuyant contre lui, un cercle de montage à la hauteur voulue et il commence à placer les douves une à une, debout, à l’intérieur du cercle.
Le brasero servant au serrage
Le brasero est un fourneau ou bassin de métal muni d’un trépied, où l’on brûle des copeaux pour chauffer les barriques. On l’utilise afin de resserrer les douves. Si les douves sont épaisses, il faut tremper le tonneau dans l’eau bouillante ou les chauffer à la vapeur pour rendre le bois souple avant d’appliquer la technique du brasero.
Le jable
Le jable est la rainure d’une futaille dans laquelle le fond est placé. On utilise le jabloir pour réaliser cette rainure.
La finition de la surface interne
Avant de monter les fonds, il faut aplanir l’intérieur du tonneau à l’aide d’une plane ronde. Ensuite, on aplanit toute la surface interne à l’aide d’un rabot ou d’une plane cintrée.
Le cerclage
Le cerclage consiste à remplacer par des cercles permanents, en bois ou en fer, les moules qui ont servi à monter le tonneau.
Le fonçage
Le fonçage consiste à façonner le fonds du tonneau avec un rabot et un compas. En général, le tonnelier utilise de trois à six planches à cette fin.
Le dressage de l’extérieur
Il faut ensuite rendre plane la surface extérieure du tonneau, c’est le dressage de l’extérieur. Pour y arriver, le tonnelier enlève temporairement les cercles tour à tour. Une fois le dressage terminé, les cercles sont solidement rabattus.
Pour signer son travail, le tonnelier appose sa marque sur le fond du tonneau ou sur le chanfrein d’une douve. Dans le cas des futailles, le tonnelier doit en plus percer une bonde, c’est-à-dire un trou rond et conique servant à verser le liquide.
La dernière étape est le barrage du fond. Cette technique consiste à installer une planche de bonne épaisseur en travers du fond. La planche est retenue par des chevilles insérées dans la tête des douves.
LES APPLICATIONS DU METIER
La tonnellerie comporte la fabrication de tonneaux étanches et non-étanches. Les tonneaux étanches, souvent désignés sous le nom de futaille, doivent être construits de façon à contenir des liquides sans la moindre fuite. Leur solidité doit garantir une longue vie.
Le talent du tonnelier pour fabriquer des contenants étanches l’amena à varier sa production avec, entre autres, des brocs, des pichets et des bouées de navigation.
Même si la fabrication de cuves et de seaux est un métier en soi, la boissellerie, cette tâche revient souvent au tonnelier.