La viticulture

La vigne est cultivée de tous temps à Carrières, depuis l'époque romaine.

 

Au Moyen-Age, on recense des vignobles déjà en 1130. En 1302, un certain Thibaut de la Granche et sa femme prennent à bail des religieux de Saint-Denis une maison et un pressoir. En 1335, le Trésorier de Saint Denis concède à la population de Bezons un terrain situé entre Bezons et Carrières pour y planter des vignes.

 

D’après le livre « Vin, vignes et vignerons » de Marcel Lachiver, pour la fumure des vignes de la seigneurie des Bénédictins de Carrières-Saint-Denis, d’une superficie de 3 ha 64 ares, entre 1771 et 1780, du fumier est acheminé par bateau. La garde des vignes seigneuriales est assurée par les Gardes Messiers qu’elle paie.

 

Le vigneron doit attendre que le seigneur proclame le ban de vendange après avoir pris l’avis des Messiers et des principaux habitants. Pas question de vendanger avant la date officielle, sinon le seigneur confisque les vendanges et instruments, et le condamne à l’amende.

 

La vigne sous l’Ancien Régime  (selon les plans du XVIIème et XVIIIème siècles)

 

En 1648, de tous temps, le climat de Carrières-Saint-Denis a été plus sain que celui de Houilles. Carrières n’est point frappée par les fièvres malignes ou autres. Les mares d’eau stagnantes sont inconnues ici. D’avril aux vendanges, il est de bonne mise d’organiser une procession du Très Saint Sacrement dans les vignes lorsque les raisins risquent d’être abîmés par les intempéries ou les insectes. On fait de même dans tous les environs et à Argenteuil. Par exemple, les moines promènent la Sainte Tunique par les champs et les vignobles.

 

Plus tard, en 1739, la succession-partage d’une maison rue des Vaux (actuelle rue Gabriel Péri) fait état de l’existence de trois bauves (caves à vin de plain-pied creuses dans la falaise calcaire) dont une avec un pressoir en mauvais état, 32 perches de vigne lieu-dit La Plaine (route de Saint-Germain).

 

En 1740, la vigne est prospère. En France, cette année-ci, la récolte est évaluée à dix millions de nos hectolitres actuels. En 1780, la surface plantée en vigne à Carrières est de 165 hectares.

 

Dans le « Rolle des Tailles » de la paroisse de Carrières-Saint-Denis de 1755, dressé par les collecteurs d’impôts, Jean-Baptiste DAUBIN et Nicolas BALLAGNY, on dénombre 74 vignerons et 4 tonneliers. La dîme due par le vigneron à l’église sur sa récolte est de 3 %.

 

 

Le plan d'intendance de 1784

 

Plan d'intendance du 4 octobre 1784 dressé par Alain Schmid, arpenteur-géographe

 

Etabli en mesure locale et en mesure de roi, soit 913 arpents 44 perches (environ 500 hectares), on constate que les vignes constituent 35 % des terres cultivées. Les Carrillons se plaignent que « pour une pièce de vin (Queue d’Orléans), les fermiers généraux (financiers chargés du recouvrement des impôts indirects) perçoivent les deux tiers de la valeur de la chose. Le vin étant de médiocre qualité, ils ne peuvent le vendre aux guinguettes de Paris, en raison des droits d’entrée qui sont considérables ».

Le recul inéluctable de la vigne aux XIXème et XXème siècles (d’après « Types de culture et naissance du maraîchage dans la boucle de Croissy 1680-1914 » par Paulette BLAMPIN – 2007)

 

Au XIXème siècle, dans sa monographie dont les Archives Départementales des Yvelines ont l’original, l’instituteur Bieuville écrit : « La vigne à Carrières-sur-Seine couvre environ le quart du territoire, 120 hectares sur 500. Les habitants apportent leurs soins à cette culture qui est la principale source de richesse aussi ne négligent-ils rien pour obtenir un rendement satisfaisant… ».

 

Néanmoins, la superficie des terres consacrées à la vigne ne cesse de décroître de 1780 à 1920 : 240 hectares en 1784, 130 ha en 1815, 180 ha en 1825, 100 ha en 1838, 150 ha en 1858, 125 ha en 1880, 106 ha en 1902, 75 ha en 1910. En 1807, les surfaces occupées baissent considérablement (130 ha) par rapport à celles de 1784 (240 ha)[1]. La raison peut en être les crises de subsistance de la période révolutionnaire qui ont conduit à semer plus de céréales. Puis, la commune reconstitue une partie de son vignoble. Ce dernier baisse à nouveau en 1837 et se maintiendra de façon à peu près stable jusqu’en 1902.

 

En 1902, l’ensemble Houilles-Carrières-Sartrouville rassemble encore 270 hectares sur l’ensemble de la région parisienne. A cette époque, le vignoble de Carrières faisait l’objet d’une notable spécialisation : sur les 106 hectares recensés (la commune s’étendait sur 502 hectares), 7 exploitants s’en partageaient 80.

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[1] Selon Mathilde Deuve, responsable des activités éducatives au service éducatif et culturel des Archives Départementales des Yvelines : « A la fin du siècle, le phylloxéra va détruire des dizaines d’hectares de vignes. On passe de 180 hectares plantés en 1822 à 130 en 1868, 92 en 1908 et 10 hectares en 1920 ».

 

Les échalas

 

L’art de la viticulture

 

Les ceps sont plantés tous les 75 centimètres, les rangs sont étroits (90 centimètres). Ils sont soutenus par des échalas ; pour enfoncer les échalas en terre, on fait un avant-trou avec une grande vrille. A la saison de l’ébourgeonnage et du liage à la paille de seigle, au mois de juin, des femmes venant de Bourgogne effectuaient ces travaux. Pour les vendanges, le transport du raisin se fait avec des hottes en osier, puis le raisin est mis dans des bachoues (récipients en bois tronçonniques)[1]. Les raisins à peau tendre sont écrasés directement dans les bachoues tandis que les raisins à peau dure sont écrasés dans un moulin ou broyeur mécanique.

 

Bachoue et pilon (musée de Vernouillet)

L’hiver, on ramasse les pierres dans les vignes à l’aide de tridents et on les met en tas au bout des vignes ou au bord des chemins pour leur entretien. Ces tas de pierres ou murgets sont nombreux au lieu-dit « Le Montoir », route de Montesson, cet endroit étant le plus pierreux de la commune. On en trouve ailleurs : aux Plants Catelaine, chemin des Pendants etc…

 

Le mode d’implantation des ceps a considérablement évolué en un siècle. A Montesson, en 1789, on pratique le provignage, c’est-à -dire la multiplication par marcottage à partir d’un pied mère. Cela donne des vignes touffues, désordonnées, aux plants d’âge variable et dont on peut penser qu’elles n’étaient pas faciles à travailler. Les ceps étaient soutenus par des échalas espacés tous les 75 centimètres, les rangs étaient étroits (0,90 mètre). Les échalas étaient enfoncés en terre dans un avant-trou réalisé avec une grande vrille. A la fin de l’automne, on enlevait les échalas avec l’aide d’un fichoir Dugay à Pédale afin qu’ils ne pourrissent pas en terre en hiver, avant de les remettre au printemps. On les trempe alors dans un bain de sulfate de cuivre ou d’eau bouillante ou on les passe à la flamme afin d’éviter le mildiou et le phylloxéra. Pour les replanter en terre au printemps, on se servait du même fichoir Dugay à Pédale.

 

L’entretien des vignes est manuel, on se sert de houes coudées, de crocs coudés à 2 ou 3 dents avec des manches de seulement 0,40 m de longueur (avec des manches plus long, il serait impossible de travailler sans heurter les ceps). Pour la fumure l’hiver, on met de la gadoue provenant de Paris, au printemps on met des engrais organiques.

 

La commune de Carrières fait pousser des asperges depuis de longues années (1786). On les plante souvent entre les vignes, ce qui laisse à penser qu’elles ne constituaient qu’un complément. En 1835, la variété dite d’Argenteuil est implantée à La Plaine sur l’eau, c’est là que pousseront les meilleures.

 

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[1] Les bachoues sont en bois de douvin, c'est-à-dire en bois de chêne, comme les douves des tonneaux. Leur contenance était d'une trentaine de litres. Le pilon qui les accompagne sert à « tasser» les grappes recueillies au bout des rangs ; c'est pourquoi les bachoues doivent être étanches. Le pilon sert aussi à écraser les grains trop verts dans la cuve (le foulage).

 

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Polydore Sarrazin et la culture de la vigne sur fils de fer

 

C’est à Carrières que l’un des principaux vignerons, Polydore Sarrazin, délaissant les échalas, expérimente la culture sur fils de fer. Il constate en 1897 que celle-ci rapporte davantage. Premier à utiliser cette méthode, il reçut cette même année la médaille d’or du Comice agricole de Seine-et-Oise. Elle se généralisera par la suite. Il constate en effet une augmentation de rendement de 15 kilos en moyenne sur une ligne (une ligne est longue de 90 mètres et espacée de la suivante de 0,85 mètre), soit un excédent de 2 000 kilos à l’hectare.

 

La viticulture à l'époque moderne

 

En 1850, la vigne occupait en Seine-et-Oise plus de 20 000 hectares. En 1900, il ne restait plus que 6 700 hectares. En 1893, la récolte moyenne du département a été de 60 hectolitres de vin à l’hectare, il se vendait de 40 à 45 francs l’hectolitre. Les principaux cépages cultivés sont : le Gamay noir, le Meunier noir ou Pinot, Meunier, le Meslier blanc qui donne le petit gris, la pierre à fusil et le vin d’Argenteuil.

 

Dans les enquêtes de 1882 et 1885[2], on constate des variations notables quant à la densité des plants allant de 10 000 à 40 000 plants à l’hectare. Par exemple, à Montesson, ceux-ci se présentent en ligne avec 20 000 pieds à l’hectare, soit un espacement de 0,50 m entre les pieds et un mètre entre les rangs. Carrières et Chatou tentent de réduire cette densité pour dégager une meilleure rentabilité dans la plantation de jeunes ceps de vigne.

 

Plants de vigne sur "fil de fer".

 

Les rendements évoluent pour la plupart entre 30 et 60 hectolitres à l’hectare, suivant les années, mais tout autant suivant le terroir (Carrières et Houilles présentent les meilleurs rendements) et les aléas naturels.

 

Dans son préambule, le cadastre de Chatou de 1885 fait état de la constatation suivante : « les meilleures vignes durent plus de 30 ans. Puis on arrache et la terre est cultivée en labours ou laissée en jachère 10 ou 15 ans, le plus souvent impossible de replanter. Les autres ont une durée de vie très variable, cela dépend surtout de l’industrie du vigneron et de la quantité d’engrais utilisée. Le vin est de qualité inférieure, buvable de suite, durée deux ans, consommé par le vigneron et sa famille ».

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[2] Il s’agit des enquêtes agricoles qui, à partir de 1837, s’étoffent et concernent un éventail plus important de productions. Irrégulières mais plus fréquentes, elles constituent une somme incontournable mais néanmoins aléatoire et ne sont utilisables qu’avec circonspection.

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Le fléau du phylloxéra en 1902

 

Les maladies de la vigne sont l’oïdium, apparu en 1847, le mildiou, champignon venant d’Amérique (1876) et le phylloxéra, venant lui aussi d’Amérique, apparu en 1865. Les phylloxéras sont des pucerons qui se nourrissent sur les racines de la vigne et finissent par la faire crever. Comme ils se trouvent en terre et comme ils résistent au gel, il est impossible de les détruire. Par contre, on s’aperçoit que sur les vignes américaines, les racines résistent aux phylloxéras.

 

Le fléau du phylloxera atteint Carrières et Sartrouville en 1902, à l’époque où les cultures de légumes frais grandissent en intérêt. Il n’eut pourtant pas raison tout de suite du vignoble carriérois, on replanta mais de moins en moins. En 1902, Carrières ne signale aucune culture « maraîchère » mais tout de même 25 hectares de « cultures diverses » incluent très certainement une bonne quantité de légumes de plein champ non arrosés.

 

Ce n’est qu’après les ravages du phylloxéra sur les vignes que les cultivateurs-vignerons de Carrières tenteront du légume en grand : 89 hectares en 1910 auxquels s’adjoignent 50 hectares de légumes frais.

 

En 1910, Montesson, Chatou… n’ont plus que quelques hectares sans doute réservés aux consommations familiales. C’est Carrières qui en fera commerce le plus longtemps avec les cafés, bistrots et restaurants du voisinage. Les greffes sur des plants américains donneront des vins plus alcoolisés. A Carrières, on cultivait du Gamay noir, le Pinot, le Meunier, le Meslin blanc qui donne le petit gris, la Pierre à fusil le vin d’Argenteuil. En 1900, le vin de Carrières avait, dit-on, meilleure renommée que celui d’Argenteuil.

 

En 1963, il n’y a plus que trois hectares et 40 ares : les deux dernières vignes n’ont disparu qu’en 1988, hors quelques plants dans les cours et jardins.

 

La vigne a disparu aussi de Carrières pour des raisons climatiques : au printemps le gel des bourgeons, une année sur deux, et une mauvaise arrière-saison sur deux pour manque d’ensoleillement avec trop d’humidité. Il était plus rentable et moins aléatoire de pratiquer la culture légumière de plein champ et de monter des marais dans des parcelles non caillouteuses.

 

L'un des nombreux bistrots de la commune. Le café de la Mairie avait une salle de bal au premier étage.

 

Le pressoir classé du XVIIIème siècle (d’après le rapport d’Elisabeth GAUTHIER-DESVAUX du 15 avril 2010 auprès de la Commission Départementale des Objets Mobiliers des Yvelines)

 

Etroitement imbriqué dans une « bove » ou ancienne carrière creusée dans la falaise calcaire surplombant la Seine, et à proximité immédiate de la mairie de Carrières-sur-Seine, le pressoir proposé à la protection, de type « pressoir étiquet », dit encore « pressoir à roue et corde », témoigne de l’ancienne activité viticole de cette région, attestée jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale par les statistiques agricoles : 165 hectares plantés en vigne en 1780, 180 en 1822, 130 en 1868, 92 en 1908, 10 en 1920.

 

Les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert fournissent de précieuses indications sur le mécanisme simple qui assurait la presse des grappes : une vis en bois coulissant dans l’écrou d’un madrier horizontal composant, avec deux montants verticaux, le « mouton » destiné à assurer la stabilité de l’ensemble, vient progressivement exercer une pression sur la pièce de bois massive glissant progressivement de haut en bas dans les rainures internes des montants verticaux, au contact des claies contenant les grappes dont le jus s’écoule dans un bassin de pierre. La vis se trouve elle-même entraînée par une corde reliée à un axe vertical ou « arbret », pivotant grâce à un manchon actionné à bras d’homme (dans le cas de pressoirs plus sophistiqués, la corde s’enroule sur une deuxième roue munie de plots) ; dans le présent cas, l’arbret a disparu, seule l’encoche ménagée dans la poutre horizontale témoignant de l’ancienne disposition.

 

 

Le pressoir du XVIIIème siècle visible au Club du Soleil

 

L’ensemble d’un volume cubique de 2m3 environ, est attesté dès les années 1760 : dans un inventaire après décès conservé dans le minutier de Carrière-Saint-Denis aux Archives départementales du Val d’Oise et communiqué par M. Daniel WILLEMAIN qui prendra part à la CDOM.

 

Le document établi le 6 avril 1785 en mentionne les pièces constitutives : « 12 plots, 7 hets, 2 grosses planches appelées truies, 1 vieux arbret, 1 vieille vis, 1 gros morceau de bois appelé écrou, 4  bouts de bois au-dessus de l’écrou, 2 solives joignant et soutenant l’écrou et plusieurs pièces de bois ». La roue et la vis ont probablement été reprises après 1785.

 

Ce dispositif constitue l’un des plus anciens conservés dans le département, avec celui des Mousseaux (classé au titre des monuments historiques », d’un type plus massif, dit « pressoir à longue étreinte », aussi bien utilisé pour presser les pommes  broyées préalablement dans le « gadage » que les grappes de raisin.

 

Daniel Willemain, le dernier vigneron de Carrières

 

Vouloir présenter Daniel WILLEMAIN, est-ce bien nécessaire ? Maraîcher fort connu à Carrières et ses environs, Daniel WILLEMAIN est une figure emblématique de la commune. Féru d’histoire, il adhère à l’association Histoire et Sauvegarde du Vieux Carrières en 1997.

 

Suite à ses recherches aux Archives Départementales des Yvelines et aux archives municipales, il rédige plusieurs recueils : « Histoire de l’agriculture, viticulture, maraîchage, myciculture et du syndicat agricole à Carrières-sur-Seine »,  « Histoire des carrières et des carriers de Carrières-sur-Seine », ainsi que « Les joutes fluviales à Carrières-sur-Seine ».

 

Daniel WILLEMAIN est maraîcher depuis l’âge de 14 ans. De retour de la guerre d’Algérie, il est le premier à faire de la culture sous polythène à Carrières et à installer une serre aux Mille colonnes, boulevard Carnot. Il s’investit activement au sein du syndicat agricole dont il est le président de 1988 à 2002.

 

Il a travaillé aussi sur les lieux-dits de la ville et pour cela dépouille les archives notariales de Cergy car ces dernières détiennent des registres concernant notre commune sur plus d’un siècle (1670-1790).

 

Les années ont passé, les vignes ont disparu… Seul à se remémorer les heures glorieuses de la viticulture à Carrières, Daniel WILLEMAIN est le témoin de cette époque disparue qu’il tente de faire revivre au travers de ses recherches et du clos qu’il cultive depuis plusieurs années au Montoir. C’est ainsi que nous avons le plaisir de déguster son « ratafia » en fin d’année et son « baco » lors des visites du pressoir à l’occasion des Journées du Patrimoine. Nous le remercions vivement de faire ainsi revivre la mémoire viticole de nos anciens.

Daniel Willemain à l'oeuvre dans ses vignes du Montoir.