UN BAIL A RENTE (1465)

Ce bail à rente - ou contrat de location - signé à Carrières-Saint-Denis en 1468 est rédigé ainsi :

 

Frère Jehan trésorier commandeur pour Messeigneurs de Saint Denis en France

Paul Chollet tabellion de ladite prévoté

Gérard Thibault pêcheur demeurant à Chatou

 

Rente annuelle et perpétuelle à ladite église d'un étang à poisson et le saumonoir diceluy à la Carrières Saint Denis

prez de l'église d'un bout chemin du cimetière d'autre bout au chemin de la Fontaine

pour le prix de 4 derniers parisis de chef cens et 20 sols de rente perpétuelle

 

24 mars 1465

L'abbaye de Saint Denis a joué un rôle prépondérant sur la gestion de notre cité par le biais de la "Prévoté de la Cuisine". Il est significatif de constater que toutes les sources de reenus font l'objet de perception de droits inhérents à ce fief qui, rappelons-le, s'étendait sur toute la boucle de la Seine, de Meudon au Pecq.

 

Cet acte, datant de 1468, se situe sous le règne de Louis XI, à la fin de la Guerre de Cent Ans qui trouvera son terme au traité de Picquigny en 1475, signé entre Louis XI et Edouard IV. La France jouit alors d'une relative tranquilité ; le roi de France n'est pas belliqueux et préfère soudoyer ses adversaires avec de l'argent, ce qui sera le cas à Picquigny.

(Édouard IV, contre une somme de 75 000 écus d'or et une pension annuelle de 50 000 écus d'or, accepte de retourner en Angleterre avec son armée et renonce à son alliance avec le duc de Bourgogne Charles le TéméraireMarguerite d'Anjou est libérée contre une rançon de 50 000 écus1.
Ce traité contente les deux parties : Édouard IV d'Angleterre prétend recevoir ainsi un tribut de la France, tandis que Louis XI de France affirme fournir une pension à son sujet le roi d'Angleterre (en fait elle permet surtout à la royauté française de tenir en respect ses seigneurs féodaux, en premier lieu Charles le Téméraire).
Exemple de pisciculture de saumons et de truites en milieu naturel à Elbeuf sur Andelle

Ce document constitue un bail contracté par un pêcheur de Chatou - Gérard Thibault - avec les représentants de l'Abbaye : le trésorier frère Jehan, et le tabellion, autrement dit le religieux jouant le rôle de notaire pour le compte de l'Abbaye de Saint Denis : Paul Chollet de la Prévoté de la Cuisine de l'Abbaye.

 

Il s'agit en fait de la location d'un étang à poissons et du saumonoir qui en dépend (yceluy dans le texte). Le site est précisé dans l'acte : "près de l'église du dit lieu, entre le chemin du cimetière (qui jouxtait l'église) et le chemin de la Fontaine". Cette dernière devant se déverser dans la pièce d'eau, objet du contrat.

La Seine faisait alors l'objet d'une activité soutenue de la part des pêcheurs qui devaient acquitter des droits de pêche. Cette activité est alors développée en raison de la pureté de l'eau épargnée par la pollution moderne. La Seine recélait alors des espèces aujourd'hui disparues de ses eaux : la lamproie, le saumon, la truite entre autres.

 

Le terme "saumonoir" ne figure pas dans les dictionnaires que j'ai consultés. Il s'agit en fait d'un vivier dépendant de l'étang. Les viviers remontent à l'Antiquité : les Romains étaient passés maîtres dans l'art de les construire, il y envait dans tous les palais et villes romaines, non seulement en eau douce, mais aussi en eau de mer.

 

Cependant, il ne s'agissait pas à cette époque de pisciculture au sens actuel du terme. Les poissons se reproduisaient dans les viviers d'une façon naturelle . On subvenait sans doute à leur nourriture. Tout laisse à penser que le vivier de Carrières contenait des saumons, poissons fort appréciés qui figuraient sur la table des religieux de Saint Denis.

Le prix de la locatation était de "quatre deniers de chef cens et de vingt sols de rente perpétuelle. Le chef cens était une redevance ou prestation annuelle, en argent ou en grains, imposée par un seigneur lors de la première concession qu'il faisait d'un bien sujet à cette servitude. Le chef cens était imprescriptible, mais le censier ou bénéficiaire du cens pouvait le vendre, le transmettre ou le donner en héritage. Mais le droit du seigneur restait le même. A chaque mutation, il percevait un droit de lods & ventes.

 

A l'origine, sous les dynasties mérovingienne et carolingienne, le denier était en argent pur, il pesait 1,112 grammes. Il valait environ 25 centimes or. Mais cette monnaie fut vite altérée sous les Capétiens et surtout à partir du règne de Philippe Le Bel, sous lequel on mélangea du cuivre et de l'argent dans les deniers. Le denier parisis était une monnaie de compte, il représentait le douzième du sol ou sou. 20 sols parisis faisaient une livre.

Denier parisis sou louis XI (1467)

 

Autrement dit, le pêcheur, locataire de l'étang et du saumonoir attenant, payait une livre au titre de la rente perpétuelle et quatre deniers au titre du chef cens, et ce chaque année. Sous Louis XI, le sou était devenu une pièce de cuivre et la livre était l'équivalent de vingt de ces sous en cuivre. On distinguait la livre parisis de la livre tournois, la première valant un quart de plus. L'altération constante des monnaies a été remplacée par nos dévaluations. Il est fort malaisé de déterminer en euros actuels la valeur de la rente de l'étang et du saumonoir.

 

En nous basant sur la valeur d'origine du denier, la somme versée représenterait - chef cens et rente - 20 sols et quatre deniers, soit soixante et un francs or, autrement dit en nous basant sur la valeur actuelle du louis (pièce de vingt francs), soit 370 francs, un montant de 1 130 francs ou encore 171 euros actuels.